Décarbonisation : mythe ou réalité ? Vue d’un chimiste – Nizami Israfilov

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Tout d’abord, je voudrais introduire l’effet de serre et expliquer pourquoi il est nécessaire de décarboniser.

La nature est un système extrêmement sensible, et nous savons bien que le changement d’un des constituants du système influence l’ensemble du système. Actuellement, la concentration de CO2 dans l’air est d’environ 400 ppm. Avant la révolution industrielle, elle était d’environ 280 ppm. À première vue, cela peut sembler insignifiant, car 1 ppm équivaut à 1 partie par million. Ainsi, il y avait environ 280 molécules de CO2 pour 1 million de molécules, tandis qu’aujourd’hui il y en a 400. Cependant, comme la nature est un système sensible, ce changement entraîne d’importants problèmes.

Commençons par l’effet de serre et le réchauffement climatique. Le CO2 (et d’autres gaz) est un gaz qui absorbe le rayonnement infrarouge du soleil réfléchi par la Terre, normalement destiné à quitter notre planète. Cela entraîne une augmentation de la température terrestre, engendrant ainsi d’autres changements, souvent néfastes. Par exemple, les glaciers fondent, ce qui élève le niveau des océans et accroît le risque d’inondations dans les grandes métropoles.

Un autre exemple est l’acidification des océans. Il ne faut pas oublier que les océans absorbent le CO2, tout comme les autres gaz. L’augmentation de la concentration de ce gaz accroît également l’acidité des océans. Certains organismes marins, tels que le plancton et les coraux, sont très sensibles à ce changement, et ils occupent souvent le bas de la chaîne alimentaire. L’acidité génère également une surproduction d’algues (eutrophisation). De nombreux autres exemples témoignent des effets néfastes de l’excès de CO2.

Si nous ne parvenons pas à maîtriser les émissions de CO2, le CO2 finira par nous « maîtriser ».

Pour réduire ces émissions, il faut commencer par les principaux émetteurs : l’industrie, les transports et l’agroalimentaire. Je vais surtout me concentrer sur l’industrie. Toutefois, je tiens à mentionner en parenthèses qu’il existe également des « émissions négatives » de CO2. Aujourd’hui, il est possible de capturer directement le CO2 de l’air (Direct Air Capture). Même si l’efficacité de ce processus est très faible.

La méthode la plus répandue pour la capture de CO2 à partir des sources industrielles est la capture post-combustion (après la combustion). La technologie la plus mature et la plus répandue est l’absorption par des amines liquides. Un exemple simple est la solution à 30 % de MEA (Monoéthanolamine) dans l’eau. Cette technologie est connue depuis le milieu du XXe siècle. L’efficacité de ce processus est parfois aussi basse que 25 % en raison de :

  1. Il faut beaucoup d’énergie pour désorber (enlever) le CO2 capturé (4-5 GJ/tonne).
  2. Les amines sont corrosives.
  3. Elles se dégradent.
  4. Les produits de dégradation sont toxiques et corrosifs.

Généralement, lorsque l’on calcule l’empreinte énergétique ou en CO2, on prend en compte ces 4 facteurs. Mais il ne faut pas oublier la synthèse des amines, en particulier le produit de départ, l’ammoniac (NH3), qui est synthétisé à haute pression et haute température (procédé Haber-Bosch). De plus, la matière première pour l’ammoniac est l’azote, obtenu par distillation de l’air, ce qui est très énergivore. De plus, les amines se dégradent en créant des nitrosamines, qui ont un effet de serre beaucoup plus important que le CO2. Aussi, les nitrosamines sont considérées comme de puissants cancérigènes susceptibles de provoquer le cancer dans divers organes et tissus, notamment les poumons, le cerveau, le foie, les reins, la vessie et l’estomac.

À mon avis, si l’on prend en compte tous ces facteurs, on émet plus de CO2 que ce que l’on capture.

Aujourd’hui, il existe de plus en plus de nouveaux matériaux pour la capture de CO2. Parmi ces matériaux, les solides poreux attirent l’attention, notamment les MOFs (Metal Organic Frameworks, en français Réseaux Métallo-Organiques). Ces matériaux ont des pores souvent de taille proche de celle du CO2, ce qui leur permet de le capter de manière sélective. Écouter l’épisode 1 de Draw Me un Matériau afin d’en savoir plus d’informations sur les MOFs :

Un MOF déjà utilisé à l’échelle pilote pour la capture de CO2 s’appelle CALF-20 (CALF-Calgary Framework). De nombreuses start-ups et projets développent actuellement leurs propres MOFs. Parmi ces projets, on trouve notre projet FOMCAP, qui développe le MOF-SUM-103 (Strasbourg University Materials). Les avantages des MOFs par rapport aux amines sont énormes. Tout d’abord, ils sont solides, ce qui élimine les problèmes de corrosion, d’évaporation et de toxicité qui y sont associés. De plus, leur manipulation est plus aisée du fait de leur état solide. Un autre avantage important réside dans leur faible coût énergétique (1-2,5 GJ/tonne). Cependant, il reste encore beaucoup de travail scientifique et d’ingénierie à accomplir pour les MOFs. Par exemple, de nombreux MOFs captent le CO2, mais perdent cette capacité en présence de vapeur d’eau. Un autre grand problème réside dans le coût élevé des MOFs par rapport aux amines. Cependant, personnellement, je crois que le développement de ces matériaux commencera à remplacer massivement les amines d’ici 7 à 8 ans.

Article proposé par Nizami Israfilov, PhD.

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